Dense
Jouer les Cassandre
J’aime tant jouer les Cassandre, que j’ai failli passer à côté de la vérité en croyant détenir une seule simple et petite vérité.
La vérité, elle démarre par ce questionnement : à quoi bon vouloir montrer à tout prix que j’ai raison ? À quoi bon vouloir obtenir à tout prix le plaisir d’avoir vu juste, d’être pris pour un devin supérieur aux autres, alors que je n’aurais détenu qu’une seule vérité parmi tant d’autres à découvrir ?
Je le sais bien au fond de moi : je me suis déjà trompé sur tant de sujets... même si je n’aime guère y penser ! La présence dans mon entourage de ceux qui le savent également est là pour me le rappeler avec plus ou moins d’humour ! Car qui aime se tromper, qui aime réellement avoir tort ? Voilà certainement un des nombreux points communs à notre humanité ! Personne n'aime reconnaître ses bourdes et prendre le risque d’être moqué. Alors qu’on passerait pourtant pour plus sage en admettant ses erreurs. Alors que ce n’est pas la fin du monde de rentrer dans le club très très très vaste de ceux qui se plantent lamentablement !
Au fond, j’aimerais avoir raison sur un point, mais cela ne me rendra pas plus invincible sur mes autres prédictions, ni sur mes autres intuitions… Je dois m’enlever de la tête ce besoin de dire à mon entourage : « vous voyez j’avais raison ! Je vous l’avais bien dit ! », suivi de : « Et donc croyez-moi ! Suivez-moi ! »
Parce que ça ne m’empêchera pas de continuer à me tromper sur d’autres sujets. Ce serait trop facile s’il suffisait d’avoir raison une seule fois contre tout le monde, pour avoir raison tout le temps ensuite ! Même si j’aimerais cela, même si je serais enthousiasmé de me dire qu’on me suivrait sur tout ensuite. En fait ce serait plutôt inquiétant de la part des autres. Ce serait même décevant en ce qui les concerne, et ça diminuerait l’estime que je leur porte au fond. Et enfin ce serait un pari bien risqué pour mes admirateurs que de me laisser prendre les décisions à leur place.
Mais rassurez-vous, je n’aime pas assez le pouvoir pour être un bon gourou ! En effet vouloir prévoir, c’est aimer le pouvoir. Dîtes-moi comment vous imaginer l’avenir : quelles sont vos craintes pour celui-ci, et je vous dirais quel genre de pouvoir est fait pour vous. Vous craignez la fin du collectif auquel vous appartenez et la fin de valeurs transmises de génération en génération : vous êtes de droite ; vous craignez les excès de pouvoir, la dictature et la fin de votre liberté : vous êtes au centre ; vous craignez que le progrès, le respect de la diversité et le climat favorable aux humains ne disparaissent : vous êtes de gauche. Si vous lisez mes textes avec attention, vous saurez sûrement où me situer !
Quoi qu’il en soit de ma couleur politique, je préfère taire ce sur quoi je pense avoir raison, puisque mon désir d’être dans le vrai, sans pouvoir le démontrer, m’apportera certainement plus de problèmes que de solutions.
Mieux vaut agir en cultivant au quotidien ce qui fait ma force : par exemple ma gentillesse, ma bonne humeur, ma foi dans l’être humain. Pourquoi me risquer à les perdre ? Pourquoi m’enfermer dans une quête qui ne me mènera que dans des délires obscurs, une nouvelle solitude et de la colère face à l’incompréhension ou l’indifférence des autres ?
Pourquoi vouloir prédire l’avenir ? Pourquoi concentrer toute mon énergie dans la démonstration que j’aurais raison un jour, quand on attend d’abord de moi de vivre au présent ? Mieux vaut ne pas s’égarer dans la divination. Mieux vaut ne pas jouer les Cassandre.

