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L'antidote à la peur

Face à la dictature, croire que l’on peut éviter la peur est une illusion.

 

Croire qu’en acceptant un tel régime, en se soumettant à lui, et en fermant les yeux sur sa corruption, en restant impassible face à ses crimes ou sa bêtise on aura moins peur, voilà qui me semble un pari tout aussi risqué que de s’y opposer ! Certes, une opposition frontale peut sembler dangereuse, mais la beauté de la chose, c’est que rien ne vous oblige à vous y opposer ouvertement !

 

Et si vous y réfléchissez bien, une fois le régime mis en place, qui vous dit que la peur vous quittera, alors même que vous aurez tout fait pour rentrer dans le rang ? Qui vous dit que vous serez à l’abri d’une dénonciation anonyme, et qu’après une fouille de votre vie privée par des enquêteurs zélés, ils n’auront vraiment rien trouvé à vous reprocher ? Ou rien pour vous corrompre ? Que vous ne pourriez pas être sacrifié pour servir d’exemple ? Qui vous dit qu’un tel système n’aurait pas besoin de « piqûres de rappel », j’entends de répressions féroces et aveugles pour contenir toute forme de contestation ? 

 

Non, la peur ne vous quittera plus jamais dans pareille configuration politique !

 

Alors qu’est ce que je propose ?

D’abord de considérer ce que la dictature nous propose… Elle qui veut nous faire croire que le combat est perdu d’avance. Que si on la provoque, elle nous aplatira en un rien de temps. Bref, qu’il vaut mieux coopérer avec elle… pour éviter le danger qu’elle représente !

 

Au fond, ce que la dictature propose c’est de partager une miette de son pouvoir en échange de notre liberté. De se faire une place au sein de son système, pour tenter de se rassurer, et ce même si la méfiance et le risque de trahison règnent. De vivre dans un monde où la créativité est bridée, où l’esprit d’entreprendre est freiné, où le culte du chef et sa machine à propagande nous abrutissent jusqu’à ne plus penser et encore moins oser rêver d’un monde meilleur… Où l’on a peur d’exprimer à haute voix ce que l’on pense, puisque la surveillance semble partout. Où l’altruisme, la légèreté, la sérénité et la confiance disparaissent au profit du seul impératif de la survie… Un monde où l’on entre tous en mode survie. Un monde de zombis tout entier dédié à la gloire de son champion !

 

Mais qui est donc ce glorieux leader ?

Celui qui en veut toujours plus et ne s’arrêtera pas tant qu’on ne mettra pas fin à son délire. Celui qui ne supporte plus aucune contradiction, et encore moins les critiques. Celui qui considère sa personne comme bien plus grandiose que tout ce qui puisse être imaginé ! Celui qui cherche à écraser celles et ceux qui désapprouvent ses agissements, via une politique fondée sur la terreur et la destruction psychologique, et même sur une destruction purement physique. Celui qui a une soif démesurée de richesse et de pouvoir. Celui qui n’a que faire de la vérité, sauf quand elle sert ses intérêts.

 

Vous pensez vraiment pouvoir aimer la dictature ? Elle, elle ne vous aimera pas ! Elle vous laminera le moral. Elle cherchera à vous écraser de son mépris pour votre petite vie, en comparaison de celle de son merveilleux chef suprême ! Elle vous assommera par sa propagande. Elle vous empêchera de progresser, de vous sentir réellement utile aux autres et de vous épanouir. Elle vous empoisonnera l’esprit avec sa haine de la vérité, du débat d’idées, et des gens qui ne rentrent pas dans le moule, des « faibles » ou de tous ceux considérés comme un danger potentiel. Et si vous tentez de lui résister, elle cherchera par tous les moyens à briser votre vie !

 

Alors si votre boussole interne vous chuchote que vous n’aimeriez guère un tel régime, qu’ai-je donc à vous proposer ? À vous qui ne vous sentez ni l’âme d’un héros, ni d’un suicidaire ; et qui craignez la torture comme tout le monde…

Je ne vous demanderais donc pas d’aller jusqu’au bout de vous-même, de flirter avec le sacrifice ultime, pour au final mépriser les médiocres et vous considérer tel un saint ! (1)

En fait, ce que je vous propose si pareil État venait à se constituer, serait simplement de faire ce que vous pouvez dès que vous le pouvez. Après tout, personne n’est parfait, alors ce ne serait déjà pas si mal ! Surtout si une majorité agit comme vous…

Parce que, en vérité, la force du bien c’est qu’il est compris et aimé intuitivement par le plus grand nombre, les enfants comme leurs parents le savent naturellement. « Le mal est puissant, mais le bien est plus répandu » nous dit Rutger Bregman (2)…

C’est en incluant le plus de monde possible à l'aide de techniques non-violentes (3) qu’on arrive à bout des pires régimes et qu’on peut retourner leurs plus fidèles défenseurs.

Et c’est ainsi qu’on retrouvera progressivement le chemin vers la dignité, la clarté et la vitalité.

Vous verrez alors que la fierté, le courage et l’honneur gagneront du terrain en vous. Que même si ils ne feront pas disparaître le danger, loin de là, ils vous aideront à contre-balancer votre peur !

Elle sera comme rééquilibrée !

L’antidote à la peur n’existe pas -et c’est certainement mieux ainsi car elle a toute son utilité en temps normal- mais elle peut être contenue par des émotions plus nobles, évitant ainsi qu’elle ne vous paralyse.

 

Mon intuition est donc la suivante : seule une minorité de personnes insensibles au sort des autres et avides du pouvoir malsain qu’elle peut leur offrir sont foncièrement attirées par la dictature ! La majorité n’aime pas ce genre de régime politique ; et pourtant elle peut finir par s’en accommoder, faire avec, malgré tout le malheur que cela lui procure… En grande partie à cause de la peur que ce système inspire…

D’où l’importance de montrer le vrai visage de cet État, pour susciter une répulsion plus forte que la peur. Et de célébrer le courage de l’affronter ! Mais surtout d’expliquer que quoi que vous fassiez, vous aurez toujours peur, avec ou sans fierté de résister, alors pourquoi choisir de perdre la flamme ? Pourquoi ne pas chercher plutôt à l’entretenir ? Vous profiterez ainsi de tous les bienfaits de l’espoir, de la volonté réparatrice d'agir enfin, peut-être même du sentiment réconfortant d'accomplir quelque chose de juste, et qui sait, sans doute de camarades de bonne compagnie !

 

Mais me direz-vous peut-être : nous ne sommes pas encore en dictature ! Certes, mais si on y entre un jour, alors je ne pourrais plus publier ce genre de texte, c’est pourquoi je me permets d’anticiper ! Mon vœu étant d’éviter un naufrage vers un monde encore plus cruel qu’il ne l’est déjà.

La question plus immédiate serait plutôt : que faire pour le moment ? Faut-il combattre l’obscurité avant qu’elle ne nous atteigne ? Ou seulement une fois qu’elle s’est établie chez nous ? Épineuse question… en apparence seulement ! Car le problème est déjà là, ailleurs, certes. Mais il existe déjà.

Qu’il ne demande qu’à se répandre ou non, peu importe. Montrons-lui simplement, calmement, que si il refuse le dialogue et le respect qui nous est dû, que si il refuse de se montrer raisonnable, alors nous ne sommes pas tous prêts à céder aux menaces et à l’intimidation, aux mensonges et au désespoir, et cela à travers les mille nuances que représenteront nos manières de faire face ; de conserver notre goût de la liberté !

 

Merci d’avance !

 

 

1. à la manière d’Armel Guerne, résistant et immense écrivain. Voir notamment : Mythologie de l’Homme. 1945. La Jeune Parque

2. Rutger Bregman : Humanité, une histoire optimiste. 2020. Seuil

3. Srdja Popovic : Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit, et sans armes. 2017. Petite Biblio Payot

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